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Chapitre 1 - EXPOSE 2

Un bref aperçu sur les sciences contemplatives

Avant de présenter les huit étapes de l’entraînement, il est utile de prendre connaissance de quelques notions fondamentales dans les sciences contemplatives*. Ces notions vont nous aider à comprendre le processus cognitif de la pratique ainsi que l’expérience et la méthode de l’entraînement.

-> Ce chapitre théorique n’est pas indispensable à la pratique : si vous le trouvez compliqué vous pouvez passer directement au chapitre suivant « La pratique en général ». La théorie s’éclairera progressivement à partir de l’expérience.

Les sciences contemplatives sont un domaine de recherche scientifique lancé dans les années 1970 par le Mind and Life Institute que nous avons déjà mentionné ci-dessus dans le point 5 de l’introduction « Recherches et rencontres en scientifiques et contemplatifs ».

Les sciences contemplatives sont nées de la convergence des enseignements du Bouddha sur l’esprit, les phénomènes et leur nature (phénoménologie), tirés de l’Abhidharma, et des neurosciences modernes qui examinent les effets des pratiques méditatives sur le système cérébral et neuronal. Les sciences contemplatives forment un domaine pluridisciplinaire émergeant, étudié aujourd’hui dans certaines universités nord-américaines, européennes et asiatiques.

Dans le contexte de cet ouvrage, le terme « sciences contemplatives » est aussi utilisé comme traduction des termes sanskrits dharma et abhidharma.  Dharma signifie à la fois : les phénomènes, leur nature et l’enseignement sur leur nature ; abhidharma est la science des phénomènes, la phénoménologie. Les sciences contemplatives sont la base scientifique de l’enseignement de la pleine présence, elles peuvent aussi se nommer : phénoménologie opérative ou science de l’esprit-expérience. 

La pleine présence du point de vue des sciences contemplatives

La particularité des sciences contemplatives est de mettre en œuvre une expérience « à la première personne », c’est-à-dire dans laquelle le sujet fait partie intégrante de l’expérience. Nous entendons donc par sciences contemplatives les sciences de « l’esprit-conscience » (les deux termes pouvant ici être utilisés comme synonymes) et de sa transformation libératrice par la pratique de la méditation de pleine présence. Les sciences contemplatives sont, en ce sens, une approche scientifique de l’expérience méditative, de sa phénoménologie et de sa philosophie.

Les sciences contemplatives peuvent avoir de nombreux volets. Nous allons dans notre propos pratique nous intéresser d’abord à la modélisation du fonctionnement de la conscience habituelle. Puis cette modélisation va nous aider à comprendre comment notre « esprit-conscience » est susceptible d’évoluer et de se transformer dans la pratique de la méditation, comment la pratique de la pleine présence est susceptible de libérer l’esprit-conscience de ses illusions et passions conflictuelles. Cette science contemplative nommée en sanscrit dharma, la « science de la réalité » est le terme qui désigne traditionnellement l’enseignement du Bouddha, le terme « bouddhisme » étant un néologisme créé au XIXe siècle en Occident, par des indianistes.

Cette modélisation de notre conscience et de ses expériences est une phénoménologie et dans la conclusion de cet ouvrage nous en développerons le caractère humaniste. En effet, il ne s’agit pas uniquement d’une phénoménologie intellectuelle menant à une compréhension de la conscience et de l’esprit, mais d’une phénoménologie opérative, active et transformative. Elle transforme et éveille la personne.

Dans ce qui suit, pour essayer de comprendre le fonctionnement de la conscience nous allons utiliser des exemples. La compréhension que nous allons développer nous servira de repère et de guide dans la pratique. C’est ainsi que l’on apprend à « comprendre dans l’expérience ». Nous n’aborderons pas le vaste domaine théorique de l’interaction de l’esprit-expérience avec le cerveau, domaine qui a donné aujourd’hui naissance à la neuro-phénoménologie. Nous renvoyons pour celui-ci les personnes intéressées aux travaux du Mind and Life Institute déjà mentionné précédemment dans l’introduction.

Trois situations

Pratiquement nous allons considérer trois situations :

  • Au début de la voie,
  • Au milieu, le cheminement,
  • A la fin, le fruit ultime de la pratique.

AU DEBUT DE LA VOIE : LA CONSCIENCE HABITUELLE ET SON MODELE COGNITIF

Nous allons commencer par proposer une modélisation de la conscience habituelle qui va nous aider à comprendre son fonctionnement.

Comment nous représenter simplement notre état de conscience habituel, l’état dans lequel nous vivons habituellement la vie quotidienne, dans lequel nous sommes tout le temps ?

Remarquons d’abord que la conscience* n’est pas une chose, une entité, mais un processus cognitif dans lequel un « je-sujet » est conscient « de quelque chose qui est autre ». Nous pouvons nous représenter ce processus cognitif sur le modèle « centre-périphérie » dans lequel il y a au centre le « moi-sujet » et tout autour, à la périphérie, « toutes les choses », toutes les expériences que vit le « moi-sujet ». Nous avons ainsi deux pôles sujet-objets ou centre-périphérie. Le sujet est central et ce que je vis, ce que vit le sujet que je suis, est à la périphérie. Entre ces deux pôles sujet-objet, diverses relations se constituent. Nous allons parler de ces relations comme de polarisations* en considérant le sujet et ses objets comme deux pôles. Ces deux pôles, comme dans une analogie électromagnétique existent l’un par rapport à l’autre, le plus existe par rapport au moins. Les relations entre les deux pôles peuvent se schématiser en positives, négatives ou neutres, ce qui correspondrait dans l’analogie à attraction, répulsion et indifférence. Ce modèle « centre-périphérie » et cette notion de polarisation de la conscience habituelle vont nous aider par la suite à comprendre la pratique. Nous l’illustrerons par le schéma ci-dessous :

Schéma 1
Le modèle centre-périphérie, la polarisation de la conscience habituelle

 

Il est important de noter que le centre et la périphérie, « moi et mon monde », ne sont ni deux entités, ni séparés et indépendants. Le « centre et la périphérie  » de la conscience, « moi et mon monde », « moi et ce qui est autre que moi » dépendent l’un de l’autre. Ils se posent l’un par rapport à l’autre, dans leur relation, en se déterminant réciproquement. Dit autrement, le sentiment de « moi » se pose dans l’expérience du monde « autre » qui l’entoure. Les expériences de « moi » et de « mon monde » sont interdépendantes, elles se posent dans leur interrelation. En phénoménologie, on parle de cette relation en termes d’intersubjectivité ou d’interdépendance.

L’interdépendance du moi et de son monde

Quand nous parlons de l’interdépendance* de moi et de mon monde, nous ne disons pas que c’est moi et mon esprit qui produisent « le monde », ce qui serait très narcissique et présomptueux, mais nous disons que mon esprit produit ma version du monde, mon expérience du monde, ma représentation* de celui-ci. Un point important est que « moi » et « ma représentation du monde » sont interdépendants. Dit autrement ma perception du monde dépend de moi. Cette perception personnelle du monde est ce que nous nommons « mon monde virtuel ». 

La métaphore de la carte et du terrain

Nous allons illustrer le processus de représentation* du monde et de projection de mon monde par un exemple de cartographie numérique tel que Google map. Sur la base de la photographie d’un terrain ces outils surimposent différents calques, qui interprètent le terrain naturel représenté par la photo. Les calques renseignent sur les caractéristiques du terrain, ajoutant des informations, des formes qui ont des noms délimitant des espaces nommant ceux-ci. Ce sont des villes, des routes ou des cours d’eau. Une carte interprète ainsi le terrain, créant une représentation conceptuelle de celui-ci. Dans l’état final de la carte, le terrain vierge a même complètement disparu. Il ne reste plus que son interprétation, sa représentation.

De même, au quotidien, nos concepts, les noms et formes que nous projetons sur le terrain de la réalité créent notre représentation, notre version de celle-ci. C’est notre expérience du monde qui a tendance à devenir notre monde. À l’expérience première du « terrain » de la réalité se surimposent nos interprétations, les représentations conceptuelles que nous projetons sur celui-ci. En réalité notre expérience habituelle est un mélange de perception directe du terrain et de représentations. Le terrain sous-jacent transparaît toujours, plus ou moins, au travers de la carte qui le recouvre et l’interprète. Mais, plus les projections et les représentations sont opaques, denses et épaisses, moins le terrain transparaît. A la limite le processus de cartographie qu’est la conscience habituelle ne perçoit plus que son interprétation du monde. Je ne perçois plus le monde réel, je ne perçois plus que mon monde, c’est-à-dire l’interprétation que j’en ai. Ce processus d’interprétation, de conceptualisation, de projection sur le terrain de l’expérience première est celui qu’opère la prise de conscience qui s’effectue dans et par la représentation conceptuelle. Cette prise de conscience est « la saisie cognitive* » qui projette sur le terrain de l’expérience la carte des formes et des noms qui crée notre monde de représentations, le monde virtuel dans lequel nous vivons habituellement.

Ce système d’interprétation n’est pas mauvais, il est même très utile et nécessaire car il nous permet de décrypter le monde et, dans une certaine mesure, de le maitriser en l’interprétant. Mais il crée des problèmes lorsque nous en venons à prendre la carte pour le terrain, c’est-à-dire lorsque nous en venons à prendre nos projections et nos représentations pour la réalité en soi. Prendre la carte pour le terrain est une illusion qui peut conduire à de très graves conséquences psychologiques, écologiques et éthiques.

La saisie cognitive*

Comme nous venons de le voir, la conscience habituelle que nous avons des personnes et des choses dépend des représentations que nous nous en faisons, c’est-à-dire de comment nous les concevons. Nous avons ainsi tendance à ne pas percevoir les personnes et les choses comme elles sont, mais comme nous nous les représentons, avec les concepts et les idées préconçues, les préconceptions que nous projetons sur elles. Ce processus constitue l’aspect superficiel de la réalité, son masque. C’est notre réalité virtuelle, habituelle.

Plus précisément la saisie cognitive est créatrice de la dualité sujet-objet. Non seulement la saisie cognitive détermine notre perception du monde, mais elle structure aussi l’expérience dualiste sujet-objet dans laquelle nous vivons habituellement. Disons simplement que concepteur et conçu existent l’un par rapport à l’autre dans l’opération de conception. Sujet-saisisseur et objet-saisie se structurent dans la saisie cognitive qui engendre ainsi la conscience duelle habituelle sujet-objet.

Mais, comme nous allons le voir ci-dessous, au terme de la voie apparait l’expérience sans saisie, l’expérience primordiale qui était présente dès le début, mais qui était voilée par les représentations dites adventices surimposées. Nous illustrerons ultérieurement cette situation avec la métaphore du dévoilement du paysage enténébré.

La saisie cognitive* structure la conscience habituelle

De ce qui précède nous pouvons comprendre que ce que nous entendons par conscience est l’expérience duelle sujet-objet structurée par la saisie cognitive. C’est ainsi que dans la conscience nous sommes toujours conscients de quelque chose. La conscience est ainsi toujours « conscience de » quelque chose, conscience d’objets sensoriels, dans l’un ou l’autre des six sens*. Dans ce processus cognitif de saisie la cognition* saisit les choses qu’elle expérimente comme objets et, en même temps, pose l’observateur, le sujet conscient qui les perçoit. Ainsi la saisie cognitive « pro-jette », à l’extérieur les objets observés et « intro-jette », à l’intérieur, le sujet observateur.

À ce point nous pourrions élaborer un peu plus le modèle « centre-périphérie » que nous avons utilisé pour décrire la conscience habituelle en le transformant en un modèle tridimensionnel qui serait celui d’une sphère, d’une bulle. « Moi-je » vit habituellement dans une sorte de bulle avec « moi » au centre et mes projections-représentations qui constituent mon « monde virtuel », tout autour. C’est ainsi que l’on peut dire que l’on vit dans sa bulle qui est plus ou moins opaque ou transparente. Nous qualifions cette bulle, ce monde, de « virtuel » car il n’est pas vraiment réel, sa réalité est relative, c’est celle de nos représentations.

Le programme du « pilotage automatique* » dans « le monde virtuel »

À ce stade, il est utile de comprendre que nos projections et représentations sont induites, formées, formatées par les informations que nous avons enregistrées au fil de notre histoire personnelle. Nous avons tous hérité d’un passé qui nous constitue et nous modèle dans ce que nous sommes et vivons. Ce passé subsiste aujourd’hui sous forme de traces et de mémoire, d’empreintes, inscrites dans notre génome, notre bagage culturel, notre langue, notre éducation, notre biographie personnelle ou notre environnement.

Ces informations nous conditionnent. Elles sont une sorte de « programmation » du moi, de ses comportements et de ses relations. Dans un premier temps elles induisent une propension fondamentale à expérimenter en mode duel puis, dans cette expérience duelle, elles induisent toutes les relations susceptibles de se vivre dans la polarité sujetobjet de la conscience habituelle. Ces informations « in-forment » la conscience, c’est-à-dire qu’elles lui donnent forme ou la prédisposent, la formatent. Ce que je suis et vis est le résultat de cette programmation de la conscience habituelle. Au niveau superficiel, cette programmation de notre fonctionnement habituel, peut être décrite comme un « pilotage automatique ». En effet, dans ce mode de fonctionnement nous sommes dans un processus d’enchaînement de réactions en chaines, automatiques et conditionnées qui sont, tour à tour, conditionnées et conditionnantes. C’est le contraire de la liberté. Le pilotage automatique est une forme de prédétermination, de déterminisme. Heureusement il n’est jamais complet, il reste toujours, dans l’instant présent, dans la pleine présence, une possibilité d’intervention, une part de liberté qui fonde notre libre arbitre et notre responsabilité.

Nous sommes ainsi « formatés » par ces empreintes venant d’informations de notre passé. Elles se manifestent sous formes de tendances, de pulsions et de projections. L’emprise du pilotage automatique peut être plus ou moins forte selon les individus et les circonstances, mais elle est toujours là. Néanmoins, et heureusement, la programmation de ces informations ne nous coupe pas complètement de la réalité, elle nous coupe seulement de l’expérience première, directe et immédiate, antérieure à toutes représentations. L’expérience première* est le lieu de la liberté, alors que la programmation est celui de la détermination. Notre expérience est ainsi finalement toujours un mélange de déterminations et de liberté. La carte voile le terrain, plus ou moins, le monde virtuel recouvre plus ou moins le réel et les informations qui conditionnent les actions sont plus ou moins fortes et déterminantes.

Les informations structurent la saisie cognitive et sont induites par celle-ci

Les informations qui programment la conscience dans le processus du pilotage automatique sont des empreintes laissées dans la conscience par les actions faites antérieurement. Plus une action passée fut intense, plus elle a laissé dans la conscience une empreinte forte et prégnante. Et pareillement aujourd’hui, plus une action est intense, plus elle y imprime dans la conscience une empreinte forte et durable. Cette empreinte y subsiste et induira ultérieurement des tendances correspondantes qui se manifesteront lorsque les circonstances y seront favorables. C’est ainsi que le potentiel des empreintes s’actualise quand les facteurs propices sont réunis.

Dans une action, le sujet-acteur, l’acte-action, et l’objet de l’action sont interdépendants. De plus l’intensité de leur existence et de leur relation est proportionnelle. Le sujet et l’objet, ont une solidité proportionnelle à l’intensité de leur relation et l’intensité de la relation est proportionnelle à celle de l’information induite.

Ainsi il y a proportionnalité entre :

  • La solidité de l’expérience du sujet et de l’objet
  • L’intensité de la saisie cognitive et celle de la relation entre le sujet et l’objet

L’intensité de l’action-relation est aussi proportionnelle :

  • Aux empreintes-informations et tendances qui l’ont induite
  • Aux informations-empreintes qu’elle induit et qui agiront ultérieurement sous forme de tendances

Tout ce processus peut être illustré par la métaphore de la germination et de la croissance de graines : les actes passés sont comme des graines semées qui subsistent sous forme de potentialités jusqu’à ce qu’elles rencontrent les circonstances propices que sont une bonne terre, de l’eau, la chaleur qui leur permettent de germer et de croître. Ces graines sont des informations. En bref, comme le dit le dicton : « on récolte ce que l’on a semé », ce qui a une portée qui devient ainsi très profonde !

La métaphore de la lecture radar du terrain dans le pilotage automatique

L’exemple du pilotage automatique* a ses limites, car nous ne sommes jamais complètement conditionnés. Notre expérience est toujours un mélange de conditionnement et de liberté, de représentation et d’expérience première. Plus nous sommes sous l’emprise des conditionnements des empreintes passées, moins nous sommes libres, et inversement, moins nous sommes sous l’emprise de ces empreintes, plus nous sommes libres. Ce qui est important est de comprendre que c’est l’état de pleine présence, l’état de suspension, ou de diminution de la saisie cognitive, qui permet le désengagement, le débrayage des conditionnements et des automatismes du programme.

Dans ce contexte nous pouvons reconsidérer la métaphore du pilotage automatique le perfectionnant en disant que la conscience fonctionne comme une sorte de radar qui lit le terrain en l’interprétant. La conscience est comme un système radar qui projette une onde sur le terrain et l’interprète en retour. L’information reçue est analysée, comparée, avec des données mémorisées, les empreintes latentes, liées à nos expériences passées, notre mémoire, il en vient une interprétation. Cette interprétation et ses représentations servent à naviguer dans les représentations du terrain ainsi construites. La représentation du terrain est utile et pertinente si elle est en adéquation avec le terrain lui-même, mais elle est inutile si elle est en inadéquation avec celui-ci, ce qui peut arriver si le système d’interprétation fonctionne mal ou est parasité. Dans tous les cas, la carte n’est qu’une représentation conventionnelle de la réalité du terrain et prendre la carte pour le terrain constitue toujours pour la conscience une illusion utile ou aliénante.

Cet ensemble d’opérations que décrit l’exemple du « pilotage automatique », plus ou moins conditionné par ses informations dans son « monde virtuel » est, analogiquement, le mode de fonctionnement de la conscience habituelle dans sa saisie cognitive. C’est l’étape initiale de la voie.

L’analogie de l’état de rêve

Comme nous venons de le voir la conscience habituelle, que nous vivons au quotidien, repose sur l’illusion de la séparation sujet-objet. Sujet-objet, esprit-expérience, ne sont pas vraiment deux choses séparées mais une seule boucle cognitive dans laquelle l’esprit-sujet se situe par rapport à l’expérience d’objets. Cette situation est analogue à celle que nous vivons dans nos rêves, lorsque notre esprit s’expérimente comme un rêveur différent ou séparé de son monde onirique. C’est ce qu’on nomme l’illusion de la séparation ou de la dualité. Le « centre » se vit illusoirement séparé, différent, de la « périphérie ».

Imaginez que vous êtes dans votre chambre à coucher, la nuit sous la couette. C’est une nuit noire et dans votre chambre c’est l’obscurité totale. Vous dormez profondément et à un moment vous vous mettez à rêver. Ce pourrait être n’importe quel rêve mais nous allons choisir un rêve fort, vous comprendrez pourquoi.

Imaginez donc que vous rêvez que vous êtes sur une belle plage de sable fin avec des palmiers, le soleil brille, la mer est bleue, calme. Vous êtes paisiblement étendu en train de vous reposer. Tout va bien, la situation est parfaite.

En fait cette plage est sur une ile tropicale bordée par la jungle. A un moment vous entendez derrière vous un bruit curieux. Vous vous retournez pour voir et apercevez un énorme crocodile qui sort de la jungle. Vous êtes horrifié, vous vous levez et décampez sur le champ. En vous retournant vous voyez que le crocodile vous suit. Vous vous mettez à courir mais il se met aussi à courir. Vous pensez fuir dans l’eau mais on vous a appris que ces crocodiles sont des crocodiles de mer, ils sont plus rapides dans l’eau que sur terre. Vous vous mettez à courir le plus vite possible. Le crocodile vous poursuit. Il court très vite, il est plus rapide que vous, il vous rattrape. C’est la frayeur. Vous le sentez qui se rapproche. Vous regardez encore il est juste derrière vous la gueule grande ouverte. Et, finalement vous entendez un grand « clac ». C’est fini il vous a croqué.

Bref, vous avez fait un cauchemar.

Nous allons maintenant examiner cette situation et ce qui s’est passé. Nous considérerons l’état de rêve en général puis le cauchemar en particulier et en déduirons la source de l’illusion et sa libération.

D’abord le rêve en général : remarquons ce qui se passe lorsque nous rêvons : bien que nous soyons dans l’obscurité complète nous avons rêvé d’une plage ensoleillée. Cette luminosité n’est pas extérieure, elle vient de notre « esprit ». Nous pouvons en déduire une première observation : l’esprit est doté d’une certaine clarté qui lui est inhérente.

Maintenant, considérons ce qui s’est passé lorsque nous avons commencé à rêver : il y a eu l’apparition d’un sujet « moi » sur la plage avec son corps onirique et d’un « monde » onirique, la plage bordée par la jungle. La première chose qui pourrait nous sembler curieuse est que notre esprit de rêveur s’est scindé en deux : une partie de celui-ci a donné naissance au monde onirique et une autre partie de celui-ci a donné naissance au moi qui s’identifie au corps onirique que je suis dans le rêve. C’est ainsi que nait la conscience onirique. Ce processus de naissance de la conscience onirique est analogue[1] à l’émergence de la conscience en l’état de veille. Il est analogue à la polarisation de la conscience que nous avons décrite ci-dessus dans sa modélisation « centre-périphérie », « projection des objets-introjection du sujet ». La naissance de la dualité dans la conscience onirique est analogue à la naissance de la dualité dans la conscience diurne.

Dans l’état onirique la clarté de l’esprit du rêveur s’est scindée en deux. Cette clarté devient d’une part un pôle sujet doté d’une certaine lucidité, faculté de connaissance qui s’associe au corps onirique pour donner le sujet onirique. Et, d’autre part elle devient un pôle objets, monde onirique, doté d’une certaine luminosité qui est vécu dans notre exemple comme la plage ensoleillée et l’ensemble de la situation extérieure. En résumé : la clarté de l’esprit onirique est devenue lucidité du sujet et luminosité de son environnement. Elle s’est scindée en deux pôles sujet-objet donnant naissance à la dualité. On remarquera que cette dualité est toute relative car elle n’existe que dans l’esprit du rêveur. On pourrait même dire qu’elle est fictive, illusoire. Ou mieux qu’elle n’est vrai que pour le rêveur dans l’illusion de son rêve.

Par ailleurs remarquons que l’esprit est doté d’une clarté inhérente susceptible de se spécifier en lucidité et en luminosité.

Considérons maintenant le rêve et son contenu, en fait le cauchemar. Remarquons d’abord qu’il s’est constitué une relation entre les deux pôles de l’expérience onirique, particulièrement « moi et le croco ». D’une peur procédant de la perception du croco comme un mauvais objet qui nous prend pour de la nourriture nait une aversion et un processus d’évitement dans la fuite. Ce processus serait un instinct de survie sain si le croco était réel, quoique que la meilleure stratégie d’évitement soit discutable (pas trop longtemps !).

Considérons aussi la souffrance induite par le cauchemar. D’abord elle est réelle, nous nous réveillons en sueur froide, comme on dit. Mais d’où vient cette souffrance ? Elle vient de l’illusion, de l’illusion de s’être identifié à un corps onirique qui a souffert d’être croqué par un croco de rêve. L’illusion est ici d’avoir pris ses projections et identifications pour une réalité objective. En effet supposez qu’au moment de l’apparition du croco vous ayez reconnu l’illusion de la situation, à savoir qu’un croco de rêve voudrait, peut-être, croqué votre corps onirique. Vous auriez vu la situation avec un certain sens de l’humour. En tout cas il n’y aurait pas eu lieu de paniquer. Au pire c’eut été un mauvais film. En bref, la souffrance, le mal-être est venu de prendre pour existant ce qui ne l’est pas. Prendre pour existant ce qui n’existe pas ou, à l’inverse, prendre pour inexistant ce qui existe est ce que l’on nomme l’illusion. C’est une façon de comprendre ce que nous expliquions ci-dessus : que l’illusion et les passions qui en procèdent sous source du mal-être.

Cette analogie du rêve est très célèbre, elle peut donner lieu à de nombreuses considération, ce que nous venons de présenter peut suffire pour illustrer la constitution de la conscience habituelle et son mode de fonctionnement duel et conflictuel. Un développement important, que nous ne traiterons pas pour raison de concision serait d’envisager le jeu des empreintes latentes dans l’esprit du rêveur et de comprendre comment elles modèlent et conditionnent son rêve. Nous pourrions ainsi comprendre le pilotage automatique et le monde virtuel…

Au milieu : le cheminement sur la voie

La pratique de la dessaisie*

Nous allons à présent considérer comment la pratique de la pleine présence consiste en une « dessaisie cognitive ». Cela correspond à l’opération de dévoilement que nous illustrerons dans la métaphore du paysage enténébré (voir ci-dessous vers la fin du chapitre) Nous avons compris que la saisie cognitive construit et solidifie la dualité et les voiles des représentations et projections avec leur cortège d’illusions et de saisies passionnelles. Nous pouvons aisément comprendre qu’à l’inverse, la dessaisie les déconstruit et les dissout graduellement, opérant ainsi leur dévoilement. Lorsque l’intensité de la saisie cognitive se réduit, les voiles se réduisent et l’expérience tend vers ce qu’on nomme l’expérience nue, dévoilée, ou « expérience première* ».

Remarquons que le dévoilement peut être partiel ou complet : il est proportionnel à la profondeur et à la stabilité de la dessaisie.

La pleine présence ouverte comme pratique fondamentale de dessaisie

La pratique de l’ouverture de la conscience qu’est la pratique de la présence ouverte, est la principale méthode. Comment une pratique d’ouverture de la conscience comme la présence ouverte est-elle source de dessaisie ? Entendons d’abord que l’ouverture du champ de la conscience est aussi une ouverture des sens. Particulièrement il est important de comprendre le lien entre ouverture et relâchement : en relâchant les tensions sensorielles, les champs sensoriels s’ouvrent. Dessaisie, relâchement sensoriel, relâchement de la conscience, et ouverture sont concomitants. Nous développerons cet aspect d’un point de vue pratique lors de la quatrième étape.

Maintenant si nous reprenons le modèle de la conscience habituelle comme structure centre-périphérie, avec l’observateur au centre, les choses observées à la périphérie et, entre les deux, le processus relationnel associé à la saisie cognitive.

En extrapolant ce modèle : la conscience s’ouvrant est moins polarisée, une relation ouverte est moins polarisée, moins intense qu’une relation fermée, polarisée. Le sujet est alors un centre moins dense et ses objets à la périphérie moins solides. Si nous allons plus loin, la conscience complètement ouverte pourrait se représenter comme une structure sans centre ni périphérie. L’expérience ultime de présence ouverte, d’ouverture ultime, de dessaisie ultime, est « sans centre ni périphérie », c’est un espace non dualiste, comme nous le verrons.

Les bienfaits de la dessaisie

De ce que nous venons de présenter, nous pouvons déduire que :

L’expérience vécue se dévoile dans un retrait plus ou moins complet du voile des projections illusoires. La pratique de la pleine présence, dans la dessaisie qu’elle opère, rend nos projections de plus en plus transparentes. Nous sommes de moins en moins dans l’illusion que la carte est la réalité, et nous percevons ainsi le terrain de plus en plus directement, immédiatement.

La réalité directe, première et immédiate se révèle au fur-et-à-mesure de la dessaisie en même temps nous nous reconnectons de plus en plus à l’expérience première, de la réalité nue. Nos projections et leurs conditionnements deviennent moins prégnants, plus ténus, et nous vivons donc davantage dans la réalité fondamentale.

La dessaisie recentre sur l’instant présent, l’ici et maintenant. Elle fait sortir des élaborations mentales, réminiscences du passé ou anticipations de l’avenir. Elle fait vivre la réalité présente, première, plutôt que de demeurer en permanence dans les représentations imaginaires, souvenirs venant d’empreintes passées ou projections d’un avenir que nous programmons en l’imaginant.

La dessaisie réalise l’état de bien-être spontané et harmonieux de l’instantanéité. Le processus de la saisie cognitive diminuant jusqu’à l’état de non-saisie nous ouvre progressivement à la saveur et au bonheur de l’instant présent, à l’état de bien-être spontané et harmonieux de l’instantanéité.

La dessaisie ouvre un espace de liberté dans lequel le pilotage automatique et ses conditionnements sont réduits ou suspendus. Cet espace de liberté est celui de notre libre arbitre et de notre responsabilité. Dans l’état de pleine présence, suspendu, nous pouvons ne pas donner suite aux tendances qui se manifestent.

En bref, la pratique de la présence ouverte opère une dessaisie cognitive cultivée jusqu’à l’ultime non-saisie. Cette voie de la présence ouverte est celle de la libération de la saisie cognitive, la voie de l’incorporation, du bonheur-liberté.

A LA FIN : LE FRUIT ULTIME DE LA PRATIQUE

La voie de la dessaisie part de la conscience duelle, habituelle, pour nous conduire à l’expérience première, non-duelle, immédiate et naturelle. Ce cheminement de la conscience habituelle à l’expérience première résume toute la voie, de la dualité à la non-dualité. L’expérience première finale est nue, sans voile. Elle n’est pas fabriquée et subsiste en soi avant que le mental ne fabrique quoi que ce soit, avant que la conception ne la voile.

Une expérience d’incorporation de la réalité

Ce que nous nommons « incorporation* » est l’expérience qui consiste à « faire corps » avec l’instant présent. L’ incorporation se vit lorsque, s’oubliant dans la dessaisie, on s’absorbe dans l’expérience de l’instant présent, lorsqu’on est un avec la sensation nue et dépouillée de l’instant. Faire ainsi corps avec l’expérience se dit incorporer l’expérience de l’instant présent.

Il ne s’agit pas que « je » sois présent à quelque chose qui serait l’instant présent, mais plutôt que le « moi-observateur » se suspende dans la non-saisie et ainsi s’incorpore, fasse corps avec l’instant présent, s’oubliant en celui-ci. L’incorporation est réalisée lorsque l’observateur s’est absorbé en l’instant présent. Cette expérience est une « présence d’absence* ». L’expérience de l’instant présent se vit alors « en soi », dans la non-séparation de l’observateur et de l’observé, en faisant corps avec l’expérience « une, non-deux ». C’est ce qu’on entend par l’incorporation non duelle de l’expérience de la réalité.

Des exemples d’incorporations

La qualité de présence d’un grand musicien ou d’un grand danseur sont des exemples d’incorporation, au moins partielle et temporaire. Un excellent musicien fait corps avec la musique et un excellent danseur fait corps avec la danse. Ils ne jouent pas consciemment de la musique ou ne dansent pas dans la conscience d’eux-mêmes. Ils sont la musique, ils sont la danse. On pourrait dire qu’ils se sont oubliés dans l’instant présent et que « ça joue » ou que « ça danse ». Ils doivent, bien sûr, s’être longuement entraînés à pratiquer leur art avant d’atteindre ce niveau de virtuosité, mais arrivés à l’excellence, ils « font corps » avec l’instant et ça joue ou ça danse parfaitement, sans conscience de soi en train de jouer ou de danser. Nous pourrions aussi décrire le même phénomène dans la perfection de tout apprentissage.

Les termes d’incorporation, d’expérience nue et d’expérience première naturelle désignent finalement la même expérience. C’est l’expérience nue et première, au sens où elle se situe avant les représentations. Cette incorporation de l’instant présent est libre de saisie du passé, de l’avenir ou même du présent !

L’ultime expérience de pleine présence « non-duelle »

Dans le processus de dessaisie, le sujet observateur s’incorpore à l’expérience objective faisant corps avec celle-ci, c’est ce que nous avons nommé l’incorporation, cœur de la pratique de pleine présence. « Incorporer » ou « faire corps avec » sont ainsi des expressions utilisées pour exprimer l’expérience de pleine présence, d’empathie, de communion ou d’union totale en laquelle il n’est pas un « moi-ici » séparé d’un « autre-là-bas », un « moi » séparé d’un « autre ». Cette absence de séparation sujet-objet est ce que l’on nomme l’expérience non-duelle, transcendant la dualité sujet-objet. En elle demeure la perfection de la compréhension, l’intelligence immédiate de la réalité et la perfection de l’altruisme, transcendant illusions et égoïsme.

L’expérience libératrice

L’expérience libératrice est une incorporation non duelle et un état naturel.

Une incorporation non duelle

D’une façon générale l’expérience de la pleine présence consiste à faire corps avec l’expérience de l’instant en toutes circonstances. Dans cette « incorporation », il ne s’agit pas de s’identifier à l’instant présent mais de le vivre dans sa plénitude, sans séparation, en étant un avec celui-ci.

Qu’il soit plaisant ou déplaisant, vivre pleinement l’instant présent en étant « un, non deux », avec lui, est la meilleure façon de le vivre harmonieusement et d’y répondre d’une façon adaptée.

Une fois que nous avons découvert l’expérience de la pleine présence, la pratique consiste à revenir à celle-ci chaque fois que nous en avons été distraits. C’est ce qu’on nomme « le rappel » qui permet l’intégration de la pleine présence dans toutes les circonstances de la vie quotidienne. Cette pratique requiert une discipline rigoureuse et suivie qui se développe sur la base de l’inspiration et de la motivation[2].

Un état naturel

Il est très important de comprendre que l’état de pleine présence est une expérience naturelle, une expérience humaine fondamentale. C’est l’instant présent, tel qu’il est, avant que le mental conceptuel ne se l’approprie en se le représentant. C’est le présent avant sa « re-présentation ».

Il ne s’agit pas d’essayer de produire artificiellement les qualités d’attention, d’ouverture et de sensitivité empathique bienveillante de la pleine présence. Ces qualités existent spontanément en l’état naturel de présence. Par contre, dans notre état de conscience habituelle, elles sont voilées par le mental conceptuel, discursif. L’émergence ou la révélation de ces qualités naturelles est un parcours de dévoilement : c’est la disparition des voiles qui révèle les qualités naturelles fondamentalement présentes. La métaphore classique qui suit illustre cette présence immanente des qualités dans la transcendance des voiles mentaux.

La métaphore du paysage enténébré

Imaginons donc que nous nous trouvons au milieu d’un paysage naturel plongé dans un épais brouillard avec de lourds nuages qui masquent son relief et tout son paysage. Ce paysage enténébré est sombre, fermé, et empêche toute visibilité. Rien ne transparaît des qualités de sa beauté. C’est alors qu’un petit vent se lève. Il dissipe progressivement brouillard et nuages. Peu à peu, la visibilité s’améliore, l’environnement s’éclaircit et l’horizon s’élargit. Nous commençons à entrevoir les caractéristiques du paysage. Il se peut même qu’à un moment survienne une éclaircie, une percée fugitive, un instant lumineux pendant lequel le voile nuageux s’ouvre avant de se refermer. Au fur et à mesure que le brouillard se dissipe, la lumière et la chaleur augmentent. Finalement, quand nuages et brouillard se sont évanouis, le paysage se révèle, clair et dégagé, baigné de la douce chaleur du soleil. Nous pouvons alors en admirer la splendeur : la clarté et la brillance de ses formes, son ouverture et toutes ses belles et bonnes qualités naturelles.

Toutes les qualités de ce paysage étaient présentes depuis le début, mais nous ne les voyions pas parce qu’elles étaient voilées, cachées par le brouillard. Les qualités de l’expérience de pleine présence sont semblables à celles de ce paysage, elles sont naturellement présentes depuis l’origine, mais habituellement masquées ou voilées. Ainsi, l’expérience naturelle de l’état de pleine présence est habituellement masquée par les représentations ou projections produites par le mental conceptuel.

Cette notion est subtile, retenons dans un premier temps que l’entraînement à la pleine présence consiste à lever des voiles plutôt qu’à « fabriquer » les qualités particulières de l’état de présence. Et, lorsque nous comprenons que ces voiles sont faits de projections, de tensions ou de fixations mentales, il devient de plus en plus évident que la pratique est fondée sur la détente, le relâchement et l’ouverture.

L’importance de l’entraînement

Toute naturelle qu’elle soit, l’expérience de pleine présence a néanmoins besoin d’être cultivée par une pratique, un entraînement. Comme nous l’avons dit cet entraînement ne consiste pas à fabriquer l’expérience, c’est un dévoilement dans lequel ce qui voile l’expérience immanente se dissipe.

D’une façon générale, nous ne vivons pas dans l’instant présent, trop occupés que nous sommes à ressasser le passé ou à anticiper l’avenir. L’entraînement à la pleine présence consiste à revenir à l’instantanéité présente, chaque fois que le mental nous en a distrait. L’expérience sensorielle directe et immédiate est toujours là, bien qu’habituellement voilée par la saisie cognitive du mental conceptuel. Ce sont les fabrications de la pensée discursive qui nous écartent continuellement de l’immédiateté de la présence d’instantanéité. L’entraînement consiste donc à laisser ces fabrications se dissoudre, sans les nourrir, ce que nous faisons lorsque nous les suivons. Il s’agit de ne pas s’investir en celles-ci en les suivant ou d’ailleurs en les fuyant.

Dans l’exemple du paysage enténébré, l’entraînement à la pleine présence est le souffle qui peu à peu disperse les voiles et révèle la beauté du paysage. L’entraînement est ainsi un processus de dévoilement des qualités de notre état naturel, de notre nature fondamentale qui est dotée des qualités de notre bon fond, de notre santé fondamentale.

C’est considérant l’importance de l’entraînement que nous avons constitué, pour encourager et faciliter la pratique de tous, un protocole d’entraînement à la pleine présence adapté à la vie contemporaine avec un écosystème pédagogique l’accompagnant (voir chapitre 4).

L’intégration et le rappel

Les voiles dont nous venons de parler partent des représentations conceptuelles constituant les illusions d’où procèdent les passions. Comme nous l’avons vu illusions et passions viennent des empreintes qui modèlent les habitudes mentales. La pratique de la pleine présence consiste à dissoudre ces habitudes. Ce n’est pas facile, car comme chacun sait, il n’est pas aisé de perdre une mauvaise habitude !

Laisser se dissoudre nos tendances habituelles est le cœur de l’entraînement cela s’accomplit par la pratique du rappel, qui nous ramène régulièrement à la pleine présence en laquelle le cycle auto sustentateur des habitudes et de leurs empreintes se décharge. Petit à petit, si nous persévérons, le rappel devient de plus en plus naturel et la dessaisie se substitue à la saisie cognitive. Lorsque l’état de dessaisie est devenu stable, la décharge des habitudes mentales est continue et elles viennent finalement à s’épuiser.

Le rappel consiste ainsi à cultiver de brefs moments de pleine présence fréquemment répétés. Une fois que nous avons découvert l’état de pleine présence, nous nous entrainons à y revenir le plus fréquemment possible[3]. En cultivant ainsi l’état de présence nous l’intégrons, il devient de plus en plus continu et stable s’intégrant à notre vie. La stabilité est le but de la pratique.

La motivation, source de l’entraînement

L’entraînement et sa discipline deviennent possibles lorsque nous sommes motivés. La motivation naît dans la compréhension des bienfaits de la pratique, de sa pertinence et de son utilité. Dans l’introduction du manuel, nous avons déjà présenté les bienfaits de la pleine présence. La compréhension de ces bienfaits est une source de motivation pour commencer l’expérience de la pratique. En comprenant que la pratique de la pleine présence est source de bien-être, de bonheur et de nombreuses qualités aujourd’hui validées scientifiquement, naît spontanément l’aspiration pour pratiquer car nous avons tous une aspiration naturelle au bien-être et au bonheur, cette motivation naturelle est universelle.

Il ne s’agit pas d’une croyance mais d’une expérience. Si jamais nous tentions l’expérience et qu’il s’avérait ne pas être concluante, il ne serait bien sûr pas nécessaire de la continuer. Mais l’expérience vaut au moins la peine d’être tentée et dans un premier temps, il est important de la commencer.

Souvenons-nous donc des bienfaits de la pratique. Un bon moyen mnémotechnique, en anglais, pour se remémorer les qualités de la pleine présence consiste à se souvenir des « 3 H*». On parle de la simultanéité des « trois H » que sont Harmony, Health et Happiness ou en français Harmonie, Santé et Bonheur. Comprenons que, dans une perspective médicale, la santé (health) est l’état d’harmonie (harmony) de notre organisme et que cette santé est naturellement bien-être ou bonheur (happiness). Ainsi, très simplement : quand on est en bonne santé « ça va bien », c’est l’état de bien-être, de bonheur (happiness).

Nous pouvons donc tout simplement dire qu’harmonie, santé et bien-être sont trois perspectives d’un même état auquel nous aspirons tous.  Si nous comprenons que la pratique de la pleine présence est, de bien des manières, la source de la santé fondamentale et des 3 H, nous aurons une énergie enthousiaste pour la pratiquer !

Nous commencerons par les instructions générales de la pratique. Elles sont utiles et importantes dans toutes les phases de l’entraînement. Ce sont des instructions essentielles auxquelles il est nécessaire de revenir régulièrement jusqu’à ce qu’elles soient bien intégrées. Nous les rappellerons au début de chacune des étapes de l’entrainement.

 

[1] Attention nous disons analogue car il y a bien sûr des différences qui portent particulièrement sur la qualification du substrat de l’expérience. Ne pas bien comprendre ces différences peut conduire à l’erreur du solipsisme.

[2] Voir : « La motivation, source de l’entraînement », chapitre 2, « Les neuf remèdes aux six obstacles ».

[3] Voir : chapitre 2 « La pratique de la pleine présence en action ».  Cette pratique est le cœur de l’entrainement, nous la développerons dans la huitième étape du protocole comme entrainement dans la vie quotidienne.

Audio - Exposé 2

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